samedi 19 décembre 2020

La culture, cette sève de l’humanité

 

 

TRIBUNE MEDIAPART : Auteur de romans et de spectacles, j'ai dédié ma vie à divertir, à émouvoir, à émerveiller les autres. La première vague de l’épidémie a fait tanguer ma barque, mais je pensais que nous en sortirions grandis. Sans me douter que la seconde vague, quelques mois plus tard, déciderait le gouvernement à couler par le fond des secteurs entiers de l'économie, dont celui de la culture.

Je suis auteur depuis un peu plus de dix ans, et artiste depuis qu'un crayon a eu l'idée saugrenue d'atterrir entre mes doigts. J'aurais sans doute pu en faire autre chose, de ce satané crayon. Comme des formules mathématiques par exemple ; des plans d'architecte ou de quoi remplir des feuilles d'ordonnance médicale. Mais non. Ce que me chuchotait ce drôle d'ustensile n'avait rien à voir avec tout ça. D'ailleurs, il ne m'a jamais laissé le choix. La seule chose qu'il demandait, c'était de gribouiller d'étranges petits bonhommes aux oreilles pointues, de coucher sur un cahier les histoires toutes aussi étranges qui me hantaient l'esprit, ou d'aligner des notes trépidantes sur une partition.

Je ne me suis jamais dit, à l'époque, que j'étais "un artiste". Je captais simplement des choses. Je les sentais tout près, vibrantes, vivantes, attendant que je les rende perceptibles au monde alentour. Alors je m'y suis attelé. Consacré jour et nuit. Jusqu'à ce que l'évidence s'impose d'elle-même : j'étais destiné à donner vie à mes créations. A me consacrer à ma mission divine. Dès lors, j'y ai mis toute mon énergie, toute mon ardeur, enflammé par ces particules d'univers fantastiques que je faisais naître de mes mains. La passion m'habitait. Rien ne pouvait m'arrêter : c'était ma voie, mon destin, sans le moindre doute.

Jusqu'à ce que 2020 vienne jouer les trouble-fête. Ou plutôt les rouleaux compresseurs.

Nous ne sommes pas tous armés
de la même façon

Qui aurait imaginé une seule seconde avec quelle force ce raz de marée allait s'abattre sur nous ? Nos priorités, nos envies, nos convictions ont été rudement ébranlées. Pour ne pas dire mises en pièces. L'inquiétude du lendemain a envahi le cœur de beaucoup d'entre nous, quoi qu'en disent ceux qui ressassent à l'envi qu'il faut savoir regarder le bon côté des choses, vivre l'instant présent, cesser de regarder les médias... Oui, certains en sont capables. D'autres pas. C'est ce que je ressens, que je découvre autour de moi, jour après jour. Nous ne sommes pas tous armés de la même façon. Nous sommes inégaux face à l'adversité, face à la crise, à l'isolement ou l’angoisse. Des secteurs entiers sont à l'agonie, des compagnies, des entreprises ont déjà fait faillite, et aucune échéance réelle ne nous permet de voir pointer le bout du tunnel. Pas même les vaccins, dont on ne sait encore rien de l'efficacité ou des effets secondaires à moyen et long terme.

La panique à bord du Titanic gouvernemental aggrave d'autant plus la situation. Les décisions prises à l'emporte-pièce, sans concertation avec les organismes concernés, dans la restauration, l'hôtellerie, le spectacle, le cinéma... sont en train de noyer un à un celles et ceux qui font la beauté, l'attractivité, l'âme de notre pays. Prisonniers de la glace de règles sanitaires arbitraires, ils gèlent sur place, recroquevillés, abandonnés, perdus dans la brume de leur prétendue non essentialité.

Non essentiel. Deux mots qui résonnent en moi comme le sifflement sec et glacial d'une guillotine. Deux petits mots qui font toute la différence entre ceux qui méritent de vivre, de travailler, de donner du sens à leur vie... et les autres : tels les Dalits, les Intouchables d'Asie du Sud, on nous relègue au dernier échelon de la société, impurs et superficiels que nous sommes de par la fatuité de notre métier.

Mettre du rire dans les drames
et du drame dans les rires

Paradoxalement, ce sont ces mêmes métiers qui donnent à aimer la vie, à la repeindre de couleurs plus joyeuses, à dessiner un sourire sur les lèvres d'un enfant, à soulager la peine, la douleur, à mettre du rire dans les drames et du drame dans les rires. Ce sont ces mêmes gens, ces métiers de bouche, de plume, de scène, de salles obscures qui œuvrent d'arrache-pied, sans jamais compter leurs heures, pour offrir un peu de rêve, d'évasion, de magie, de folle passion à notre quotidien. Ils sont la sève de notre pays, une sève remontant de plus profond de ses racines vers ses frondaisons, glissant de branche en branche pour l’irriguer de sa vigueur, lui dédier une identité.

Que restera-t-il de ce pays lorsqu'on l'aura desséché, aseptisé de tout ce qui fait son âme ?

J'ai toujours écrit, illustré, composé pour embellir le monde et la vie des autres. Instruit du talent de celles et ceux qui m'avaient précédé, je me suis donné pour mission d'offrir aux gens des échappées belles. De leur partager, le temps d'un livre ou d'un spectacle, les chimères qui me possédaient au point de leur donner corps. Je me suis nourri de leurs émotions, comme ils se sont nourris des miennes. Un échange extraordinaire, tel qu'il en existe rarement ailleurs. Un cocktail de souvenirs, de regards pétillants, de sourires émerveillés qui font qu'on se sent vivant, d'un côté du miroir comme de l'autre.

Apporter un souffle d'humanité
dans tous ces relents d'inhumanité ?

Priver un peuple de ce fil d'Ariane qui le lie à la compréhension, à l'ivresse, à la sensualité du monde, c'est le réduire à l'état d'esclave. Esclave de la raison, de l'obscurité, de la peur, de la misère spirituelle. Esclave de la déchéance idéologique et culturelle d'un pays qui, dans la violence de la tourmente, a perdu le sens de ses vraies valeurs.

Ne serait-il pas temps, dans ce règne avilissant des gestes barrière, de distanciation physique, d'alternance incessante de couvre-feu et confinements, de nous octroyer quelques bouffées d'oxygène ? D'apporter un souffle d'humanité dans tous ces relents d'inhumanité ? Car s'il est vital de soigner les corps, il en est de même des esprits et des cœurs. A moins de n'avoir pas encore compris à quel point nous sommes ce que nous ressentons.

Je veux croire que tous les bouleversements actuels, ici et partout dans le monde, œuvrent à ce changement de paradigme. A ce renversement si essentiel de nos valeurs. Je veux croire que les poètes ne seront plus les idéalistes méprisés d’aujourd’hui, mais les pionniers du monde de demain.

Je veux croire que l'art nous unit à la terre et au ciel. A la nature qui nous a enfantés. Et que nous ne saurions vivre bien longtemps sans cette magnifique harmonie.


Actualité de l'auteur : une campagne de crowdfunding pour son nouveau roman Krog Macherok et le venin des Hautes Terres, un conte "éco-féerique" pour la jeunesse dont des exemplaires seront offerts aux enfants hospitalisés à l'Institut Saint-Pierre.La campagne s'achèvera le 10 janvier 2021.

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