C'est ce qui se murmure à mots couverts dans les couloirs des maisons d'édition. Malgré les très bons scores de certains romans, portés par le cinéma et l'incontournable raz-de-marée Game of Thrones sur HBO, le roman fantasy se porte mal. Les recettes traditionnelles ne fonctionnent plus. Le lecteur, ces derniers temps, boude les aventures de guerriers épiques, d'elfes magiciens et de dragons qui ne courbent pas l'échine sous la douce main de Daenerys du Typhon. Les éditeurs l'ont bien compris. Et se rabattent sur ce que leurs confrères d'outre-Atlantique produisent de plus rentable. À savoir la dystopie (un terme un peu barbare regroupant les histoires de mondes en perdition dans la lignée de Hunger Games) et le New Adult (anglicisme fourre-tout où il est question, en gros, de l'angoisse de devenir adulte pour la génération des post-adolescents "vieillissants").
La frénésie qui s'était emparée du grand public pour la fantasy, notamment avec le triomphe du Seigneur des Anneaux au cinéma, dans les années 2000, s'est essoufflée. En témoignent les chiffres de vente en berne du secteur de l'Imaginaire (environ 15% de moins en 2014) et la lente agonie des œuvres de fantasy francophones, auxquelles on préfère depuis longtemps déjà leurs aînées anglo-saxonnes. Plus chères, à la base, du fait des coûts exorbitants de traduction, mais aussi plus rassurantes, au regard de leurs recettes à l'étranger. Certes, il est plus difficile de prévoir des séances de dédicaces ou des interventions - les frais de déplacement de l'auteur s'avérant particulièrement dissuasifs - mais l'éditeur peut toujours s'appuyer sur la notoriété de ce dernier et les excellentes critiques qui lui sont faites, glanées un peu partout hors de l'Hexagone.
Alors, dans ce contexte, que reste-t-il à nos chers auteurs français de fantasy ? Eh bien, en dehors de leurs yeux pour pleurer, pas grand-chose. D'autant que l'imaginaire, en littérature, a toujours été une niche. Un sanctuaire pour petits et grands rêveurs, que le succès d’une poignée de films, il y a quelques années, a révélé à un public plus large. Aujourd'hui pourtant, ce même public, sans doute saturé par la masse ahurissante de livres exploitant le filon, se détourne peu à peu du monde des fées, des chevaliers maléfiques et des gobelins. Il cherche autre chose. Des récits plus réalistes, ancrés dans la société telle qu'elle est, ou telle qu'elle pourrait devenir, dans le pire des scénarios. Comme si étrangement, la noirceur et la férocité de notre vrai monde, celui que la fantasy en général tentait jusqu'ici d'alléger, de tenir à distance, ne se suffisaient plus.
Serait-ce une façon, pour le lecteur, de mieux se confronter à ses peurs ? A ses angoisses existentielles ? De rejeter ce qu'il considère finalement comme une échappatoire infantile ? Je n'ai pas la réponse à ces questions. Je constate seulement, avec tristesse, le lent dépérissement d'un genre que j'affectionne. D'une littérature qui sait aussi parler du réel, des enjeux du monde et des Hommes, de leurs tourments et de leurs doutes, mais qui le fait avec une forme de distance polie. De recul sur les êtres et les choses. Et cette distance, à mon sens, est salutaire. Elle offre à tout un chacun l'occasion de s’évader. De se libérer de carcans trop étroits, trop formatés par un système qui, sans relâche, nous pressurise et s’emploie à nous faire rentrer dans ses cases. Or la fantasy, elle, est accessible à tous, sans limitation d’âge, de culture ou de pays. À une condition près : celle d’avoir gardé son âme d’enfant.
Est-ce là, justement, que le bât blesse ? Cette société morose, impitoyable et répressive dans laquelle nous pataugeons, envahis par les menaces de terrorisme, de pollution, d’effondrement économique, est-elle en train de tuer dans l’œuf notre capacité naturelle à rêver, à nous émerveiller ? Le cynisme prend-t-il le pas sur toute forme d’idéal, de propension à croire en des mondes plus beaux ?
Il est certain que ce brave Peter Pan, au fond de nous, a pris une sacrée claque dans la gueule (sujet névralgique, en ce qui me concerne, puisque je suis en train d’en faire un roman !). Mais je ne veux pas croire que le roman fantasy soit mort pour autant. Bien sûr, je prêche pour ma paroisse, me direz-vous. Bien sûr, j’ai envie que ma saga Myrihandes renaisse de ses cendres et rencontre enfin son public. Mais je ne suis qu’une goutte d’eau dans cet océan d’auteurs de l’Imaginaire qui, comme moi, tirent de plus en plus la langue, acceptent des à-valoir et des pourcentages moindres dans l’espoir de se faire éditer. C’est un trait malheureusement fort commun à la plupart des auteurs jeunesse, mais ceux qui officient dans la fantasy en payent encore plus lourdement le prix. Au point de se demander s’il n’est pas temps de fermer boutique… ou de passer à autre chose. Car s’il y a bien une réalité, bien concrète celle-là, à laquelle aucun de nous ne peut échapper, c’est la nécessité de vivre de notre travail.
Pourtant, je ne veux pas croire que nous en sommes là. Que le glas a sonné pour tout un pan des auteurs de l’Imaginaire. Il existe tant de manière de renouveler le genre, de le réinventer, d’enchanter à nouveau l’âme et le cœur de milliers de lecteurs, que la fantasy finira bien, un jour ou l’autre, par redorer son blason. Par regagner la confiance et l’intérêt de toute la chaîne du livre. Encore faut-il, pour cela, qu’on lui offre cette chance. Que les éditeurs ne se replient pas définitivement sur leurs acquis. Sur quelques noms illustres d’une littérature qui doit sa richesse et sa diversité à toute une formidable mosaïque d’auteurs. Des auteurs de tout horizon, forts de leur propre culture, de leurs propres références, à même d’apporter un nouveau souffle, un nouveau regard sur le genre.
Les mondes imaginaires doivent continuer de peupler nos librairies. Ils doivent aussi être mieux représentés, mieux considérés. Notamment par les medias, dont l’indifférence et le mépris à l’égard de ce qu’ils estiment comme un sous-genre de la littérature ont toujours contribué à ostraciser ses auteurs.
Nous pouvons sortir de cette impasse. À condition de le faire ensemble. Main dans la main. Éditeurs, libraires, auteurs et lecteurs réunis. Car la fantasy, j’en suis persuadé, n’en finira pas d’avoir de beaux jours devant elle, tant que nous serons capables de faire vibrer, envers et contre tout, notre belle âme d’enfant.