Il y a des jours, j'ai envie de quitter ce monde. Pas de mourir, soyons clairs. Mais de changer d'époque, de planète, de dimension... voire de moi-même aussi.
Il était bon, il était beau, le monde d'avant. Il sentait bon le sable chaud. La boustifaille en veux-tu en voilà, le tourisme à l'autre bout du monde, le carburant pas cher, les jouets géants en plastique, le Nutella à toutes les tables des mioches parce que "c'est trop bon", le béton qui avance sur la forêt, les mégots plantés dans le sable, le médecin à domicile, les profs respectés, la tiédeur au printemps et la neige en hiver, les lucioles dans l'herbe et les oiseaux dans les nues... Et tant d'autres choses encore.
Il sentait bon, et pourtant, il pourrissait déjà. Depuis longtemps.
Je suis né dans cette abondance, du bon côté du globe. J'en ai profité comme un dû, sans jamais réfléchir aux comment, aux conséquences, au devenir de ce système si confortable, si bien huilé. Pourquoi réfléchir quand on peut se permettre de ne voir la vie qu'à travers le prisme de son ego ? De ses ambitions et de ses rêves, aussi fous et dérisoires soient-ils ?
Non, il ne faut surtout pas revenir au monde d'avant. Même si on en prend clairement le chemin. Les pays continuent d'investir à mort sur les énergies fossiles, sur la conquête spatiale, sur l'armement, sur la pétrochimie, l'agro-industrie, pendant qu'on agite quelques hommes de paille auprès des activistes écolos pour leur laisser croire qu'ils sont écoutés.
La marée monte, pleine d'immondices, et tout le monde semble s'en contrefoutre. Enfin non, pas tout le monde. Disons, ceux qui pourraient y faire quelque chose mais n'ont surtout pas intérêt à le faire. Les GAFAS se gavent comme jamais en jetant tout juste quelques miettes de leur table en guise de taxe aux États, on se dispute les nouvelles voies navigables en Arctique plutôt que de trouver des moyens de contenir la fonte de la banquise, on massacre les colonies d'abeilles d'un côté à coup de néonicotinoïde, on les épuise de l'autre en les poussant à polliniser des millions d'amandiers aux États Unis, on réduit à peau de chagrin des derniers espaces sauvages, au risque de déclencher de nouvelles pandémies, on entasse, on mutile, on massacre des milliards de cochons, de poules, dans de gigantesques bâtiments où ils ne verront jamais la lumière du jour pour notre sacrosainte consommation carnée, on ratisse les fonds marins jusqu'au dernier poisson à grand renfort d'immenses filets de chalut, on fait de la mer une poubelle de nos déchets abandonnés aux quatre coins du monde...
Au nom d'un seul et unique maître-mot, le cheval de bataille depuis la fin de la seconde Guerre Mondiale : la croissance.
Il faut croître, encore et toujours plus, devenir plus rentable, plus productif, plus compétitif. Sauf qu'il n'existe pas de croissance infinie dans un monde fini. Le jour où il n'y aura plus de sable, à force de l'exporter pour en faire du béton, on fera bronzette sur la caillasse et nos gamins, eux, des pâtés d'éponges mortes. Le jour où le grand requin aura disparu, éradiqué parla pollution et la chasse, Spielberg aura l'air bien con avec son "Jaws". Et le jour où il n'y aura plus que nous, fière et indomptable espèce dominante, quelle satisfaction aurons-nous, sinon de réaliser que l'argent ne se mange pas et que l'histoire de "Soleil Vert" était très avant-gardiste ?
Mais je m'égare. Nous n'en arriverons jamais là. Nous serions tous morts bien avant. Mais une chose est sûre : il faut en finir avec ce système de corruption et de prédation. Il existe suffisamment de femmes et d'hommes innovants, créatifs, humanistes en ce monde pour concevoir d'autres modèles de société, fondés sur de nouveaux modèles de croissance : celle du savoir, de l'empathie, du bien-être, de l'amour.
Vous riez ? Vous n'y croyez pas ? Mais si vous-même êtes incapable de donner du crédit à ces idées, qui le fera ? Si nous ne sommes pas unis, solidaires, toute une masse citoyenne à partager un idéal commun, un élan inédit de renaissance, de résurrection de l'humanité, quel monde laisserons-nous à nos enfants et à nos vieux jours ?
Nous sommes sur le point de bascule. Asservis au confort moderne ou forts de la volonté de s'affranchir de ses compromissions suicidaires.
Le choix est loin d'être simple. Mais tôt ou tard, il s'imposera.
D'où ma réflexion première : j'aimerais bien quitter ce monde... avant qu'il nous pète à la gueule.
Et construire d'ores et déjà le monde de demain.