Je me souviens du petit ours bleu que je serrais enfant dans mes bras, pour me rassurer quand la nuit tombait sur ma chambre.
Je me souviens de la camionnette à bonbons qui klaxonnait pour annoncer son arrivée chaque samedi dans ma résidence. De mes pas dévalant les quatre étages de l'immeuble pour aller récolter le Saint Graal de mon week-end.
Je me souviens des promenades, des jeux dans la garrigue, où mes amis et moi nous inventions des histoires extraordinaires. Des branches de pins qu'on secouait pour voir dégringoler sur leur fil les chenilles processionnaires.
Je me souviens de mes larmes chaque fois que venait la fin du spectacle Son et Lumière de l'abbaye paternelle, de mon émotion à l'écoute des voix, de la musique, au milieu des autres spectateurs dont les silhouettes se découpaient sous les étoiles.
Je me souviens de ces amitiés qui m'ont construit, de ces fous-rires qui nous secouaient, de ces musiques et de ces films qu'on partageait, encore et encore, jusqu'à tomber de fatigue.
Je me souviens de chacun de mes premiers baisers. De ces fourmillements dans mon ventre au moment où mes yeux croisaient les siens ; où cette fine lueur en eux éclairait leur désir.
Je me souviens des grands repas de famille. Du joyeux vacarme des oncles et tantes, des cousins et cousines, des blagues et des étreintes. Des regards qui s'illuminaient devant le sapin de Noël ou les bouquets de feux d'artifice ; ces lumières de pas longtemps qui resteraient à jamais allumées dans nos coeurs.
Je me souviens de la passion débordante qui m'animait, le crayon à la main pour dessiner mes héros de papier ; mon clavier de piano sous les doigts pour donner vie à une chanson ; mon micro en main pour chanter, à la fois fort et fébrile, sur une scène de théâtre.
Je me souviens du plaisir indicible de donner corps à une histoire. De voir ses personnages prendre vie entre les lignes et se propager dans mes veines. D'aller à la rencontre de mes lecteurs, petits et grands, de faire briller le rêve, la magie dans leurs yeux. D'écouter leur histoire à eux et m'en enrichir.
Je me souviens de mes amours, une à une, de l'électricité de nos rencontres, de mes maladresses, de leur compréhension. De cette main glissant dans mes cheveux. De ces frissons qui entretenaient la flamme. De ce souffle courant le long de ma peau, me rappelant chaque seconde combien j'étais vivant.
Je me souviens des premiers cris de mon fils, de cette libération teintée d'ahurissement quand je l'ai pris dans mes bras, encore couvert de talc. Du regard épuisé et pétri d'amour que sa maman a posé sur lui quand elle l'a lové dans les siens. De notre étonnement et de notre fierté de le voir apprendre et grandir. D'entendre ses premiers mots et éclats de rire.
Je me souviens de tous ces moments, d'échanges, de partages, de communion qui ont jalonné ma vie. Toutes ces petites et grandes choses qui font qu'on s'est bâti une histoire, une famille de sang ou de coeur, un endroit où l'on se sent chez soi.
Toutes ces choses qui, mises bout à bout, font ce que nous sommes.
Il y a des gens, aujourd'hui, qui ont envie que tout cela change. Qui se saisissent d'une providence morbide pour démêler les fils de notre tissu social. Pour démolir pierre après pierre le grand édifice qui fait de nous une communauté d'hommes et de femmes doués d'empathie, de désirs et de force d'âme.
Mais nous ne sommes pas des pions d'échiquier, soumis aux folies des tours et à la domination du roi. Nous sommes les forces vives de ce pays. Avec notre culture, nos convictions, nos batailles à remporter pour nos proches comme pour nous-mêmes. Et ce n'est pas l'inconséquence, la peur ou la corruption de quelques grands seigneurs qui vont nous pousser à la reddition.
Souvenez-vous de qui vous êtes. De ce qui vous a forgé. De ce qui vous donne envie de vous lever le matin et de sourire au ciel. Souvenez-nous des êtres, des échecs et des victoires, des instants qui vous ont menés là.
Ce sont eux qui vous aideront à rester debout. A ne pas plier face à ceux qui veulent vous voir à genoux.
Car rien ne saurait faire tomber celui qui tient sur ses racines.