Auteurs et éditeurs de l’imaginaire — francophones — vivent dans une dimension parallèle au commun des mortels. Une dimension qu’ils sont les seuls à connaître. Ma tribune sur le site Actualitté
Dans cette dimension, dorée et grandiose, on s’émerveille, on se raconte des histoires extraordinaires... On chuchote qu’on a discuté avec un tel, une telle, qui va nous ouvrir les portes du succès. On vaque de salon en salon du livre, on serre des pinces d’or ou d’argent, on s’incline devant de grands noms — d’éditeurs, d’organisateurs, d’auteurs. On partage des repas mémorables où se réglent des contrats, entre l’alcool de poire et le fromage.
On signe des dédicaces alambiquées à des lecteurs fantasques. On donne des conférences qui nous font sentir importants. On s’adonne à des interventions scolaires où l’on vient expliquer nos livres, notre métier, l’art d’écrire une histoire, de donner vie à des personnages...
Et parfois, lors de ces dîners d’entre-soi, lors de ces séances enthousiastes de dédicaces, lors de ces congratulations, ces remises de prix qui font palpiter nos petits cœurs assoiffés de reconnaissance et d’amour... on se sent important. Investi d’une mission quasi divine. Notre nom devient un nom d’artiste. Un nom qui court sur les lèvres de celles et ceux qui nous lisent la fièvre au front, qui nous écoutent palabrer sur nos mondes fantasmés, qui étudient nos chiffres de vente, l’œil plus affûté qu’un silex.
Oui, on est parfois les rois du pétrole de notre petit monde.
Mais sortis de là ? Sortis de notre chère et douce dimension parallèle ? C’est bien simple : nous ne sommes personne.
À l’exception d’un ou deux élus du système, nul ne nous connaît. Tandis que le monde du cinéma, de la musique, de la littérature blanche affichent de grands noms, invités réguliers des chaînes TV, des radios nationales, de la presse mainstream... nous, eh bien, on nous ignore.
Qui, hormis les adeptes du genre, sait que ce sont les Utopiales, les Halliénales, les Imaginales ? Qui a attendu parler de l’Atalante, Mnémos, Bragelonne, Léha ou Scrinéo ? Qui peut citer un seul auteur de l’imaginaire francophone contemporain, excepté Bernard Werber ? Bien peu de monde, en vérité.
Nous qui sommes à l’origine des plus grandes histoires que les autres médias se hâtent de transposer en son et en images pour le plus grand plaisir des spectateurs, nous sommes encore et toujours les grands oubliés des médias, et à travers eux, de toute la société française. Parce que bien sûr, écrire du fantastique, de la SF, de la fantasy... ce sont des enfantillages.
Si un tout autre état d’esprit régnait dans l’Hexagone, il y a sûrement longtemps qu’on aurait découvert notre Tolkien, notre Robin Hobb ou notre George R. R. Martin made in France.
Drapons-nous, amis auteurs, éditeurs et directeurs de salon, de ce mépris ordinaire auquel on nous a tant habitués. Il est notre médaille à double face. Notre Janus devant l’éternité éphémère de nos fières victoires intestines.
Je suis heureux d’être des vôtres.