Quelle belle image d’Épinal que celle de l’Auteur, ce demi-dieu magnifique que l’on croise sur les salons, lors d’une dédicace où le lecteur, impressionné par l’aura de l’artiste, tend fébrilement son exemplaire encore vierge de la sacro-sainte signature ! En vérité, c’est parfois tout ce qui reste à l’auteur : l’illusion. Celle qu’il génère chez le lecteur, et les siennes, ses rêves qui le raccrochent au fil de son improbable destin.
Cette vérité, peu de gens la connaissent. Parce qu’elle dérange. Parce qu’on choisit souvent de la taire pour tenter de vivre de cet art qui n’en est pas moins un travail. Travail de longue haleine, quand on sait le temps qu’il faut à un auteur pour produire un livre : la documentation, l’écriture, les corrections peuvent parfois réclamer plus d’une année de labeur.
Contrairement à ce que certains s’imaginent, l’auteur est la dernière roue du flamboyant carrosse de l’édition. Créature étrange et dépourvue de véritable statut, celui-ci, s’il ne perçoit pas d’avance sur droits, est souvent payé plusieurs années après avoir entamé l’écriture de son oeuvre. Deux tiers d’entre eux, qui plus est, perçoivent moins de 10% sur le prix public de leurs livres. Certains, notamment en jeunesse, sont même rémunérés à un taux inférieur à 5 %.
Le cas des auteurs de BD, quant à lui, est édifiant : 30% d’entre eux vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Certains, de guerre lasse, ont définitivement baissé les bras pour se consacrer à une activité plus susceptible de les nourrir, eux et leur famille.
En cause : la stagnation du chiffre d’affaires de l’édition. 2017, en l’occurrence, n’a pas été une année folichonne. Mais si on regardait les choses d’un peu plus près ?
“Comment diable l’auteur pourrait-il vivre de son métier ?”
Autrefois – et je ne parle pas de remonter aux calendes grecques – le fait de signer un auteur, en particulier dans une prestigieuse maison d’édition, représentait un investissement. On misait sur son récit, son talent, son style. On lui donnait les moyens, financiers et humains, de faire parler de son livre. Le travail, certes, était de longue haleine. Mais souvent payant. Les médias consacraient un article, une interview, un temps d’antenne à l’auteur. On le recevait pour moult entretiens, conférences, on lui faisait écumer les salons de France et de Navarre.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Laisse-t-on le temps, l’opportunité au livre de faire sa place ?
La réponse est non. Du moins pour 90% d’entre eux.
Les éditeurs, dans leur écrasante majorité, ont pris une autre option : multiplier à l’infini le nombre de nouveautés. Surproduire, quitte à ne soutenir qu’une portion congrue de leurs auteurs, dans l’espoir que la providence fasse éclore de cette immense pagaille un best-seller.
L’ennui, c’est que le serpent se mord la queue. Avec 200 titres publiés par jour, les tables de librairies sont envahies, les nouveautés ne sont nouvelles qu’une semaine – pour les plus chanceux – et les avances sur droits toujours plus minces – quand elles existent. Les medias se concentrent sur les auteurs les plus reconnus (reléguant aux blogueurs/booktubers la littérature dite de « seconde zone », merci pour eux). Quant au budget alloué au marketing ou à la présence de l’auteur sur des salons, il est devenu tout bonnement anecdotique.
Dans de telles conditions, comment diable l’auteur pourrait-il vivre de son métier ? Comment le libraire pourrait-il faire le sien décemment ? Comment le lecteur pourrait-il s’y retrouver ?
Le serpent n’aura bientôt plus de queue à se mordre. La passion d’un auteur peut soulever des montagnes, mais elle a ses limites. Comme tout autre citoyen issu des masses laborieuses, il a besoin de payer son loyer, ses courses, les études de ses enfants. Cette flamme qui l’anime n’est pas éternelle et ne justifie pas qu’on sous-évalue son travail. Sous le fallacieux prétexte qu’il « fait quelque chose qui lui plaît ». Qu’il ne « travaille pas vraiment ». Il existe bien des professeurs, des scientifiques, des médecins qui se passionnent pour leur travail. Pourquoi la reconnaissance due à leur métier serait-elle différente de celle des auteurs ? En quoi sont-ils plus méritants que nous ?
Ce constat alarmant a conduit certains auteurs – dont je fais partie – à tenter l’aventure de l’autoédition. Pour s’affranchir des délais sans fin de retour de lecture, de prises de décision et de dates de sortie. KDP Amazon, via son catalogue d’ebooks, se présente comme une solution intéressante. Une œuvre dont les ventes vont grimper en flèche est susceptible de piquer la curiosité d’un éditeur, qui signera l’auteur pour exploiter à plus grande échelle le potentiel de son livre. Ulule, à travers le financement participatif, se révèle aussi un excellent moyen de publier quelques centaines d’exemplaires d’un roman, avec d’autant plus de pertinence si ce dernier bénéficie d’un univers graphique, quasi indispensable pour susciter l’intérêt de contributeurs.
Mais ces alternatives ne sont pas une fin en soi. Sans réseau de diffusion, de distribution, sans un solide carnet d’adresse media, l’œuvre, quelle que soit sa qualité, reste confidentielle. Confinée à un cercle restreint de lecteurs dont le pécule, aussi généreux soit-il, ne permettra jamais à l’auteur de vivre de son travail. Tout au plus d’arrondir des fins de mois invariablement difficiles.
L’avenir du métier d’auteur, on le voit, est loin d’être assuré. Trouverons-nous entre temps des chemins de traverse pour lui rendre sa juste place dans la chaîne du livre ? Inventerons-nous une forme de coopération entre autoédition et édition traditionnelle pour redéfinir la profession ? Ou bien est-elle condamnée purement et simplement à disparaître ? À devenir l’apanage de quelques nantis soucieux d’occuper sainement leur temps de loisirs ?
Auteurs, éditeurs, diffuseurs, libraires, lecteurs, la question concerne tout le monde. Comme dans la nature, si un maillon de la chaîne vient à manquer, c’est la vie toute entière qui s’écroule. Et l’auteur, qu’on se le dise, doit redevenir son maillon fort.
Tribune publiée sur actualitte.com
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