Ma tribune, publiée en juillet dernier sur Libération, est une réflexion sur le statut d'auteur professionnel et sur le système éditorial français, marqué par une surproduction toujours plus aliénante.
Voilà plusieurs mois que les revendications des auteurs, dont je fais partie, se donnent le change via des assemblées, des tribunes, des hashtags tels que #PaieTonAuteur ou #ExtinctionCulturelle dans l’espoir d’offrir un véritable statut au métier.
Je ne reviendrai pas sur le combat légitime concernant la réforme de la retraite universelle pour les auteurs, véritable aberration qui verrait exploser leurs cotisations sociales, le tout pour un même taux de pension de retraite.
Le sujet qui continue de m’interroger est celui de la réalité du métier. A partir de quand devient-on auteur professionnel ? A quel moment peut-on juxtaposer ces deux mots antinomiques, vu qu’il n’existe pas de formation spécifique pour apprendre ce métier que le monde du travail a bien du mal à qualifier comme tel ?
La logique serait : lorsque l’auteur est publié à compte d’éditeur. Oui, mais pour combien de livres-BD édités dans l’année ? Pour quel pourcentage de droits d’auteur ? Quel montant d’à-valoir ? Quel nombre de ventes par titre ? Les paramètres sont légion pour définir la réalité professionnelle du métier. N’étant ni un salarié ni un indépendant, aucune fiche de paie ne justifie de la valeur de son activité. L’auteur signe des contrats d’édition (aux conditions très fluctuantes d’une maison à l’autre), touche - ou pas - une avance sur droits (dont le montant peut varier entre 4 % et 12 %) et reçoit une à deux fois par an une reddition de comptes sur l’exploitation commerciale de ses œuvres (documents qui peuvent être clairs comme de l’eau de roche ou plus obscurs qu’un conte de Lovecraft).
Bref, difficile de faire valoir son statut d’auteur professionnel via des documents administratifs, lesquels de surcroît, au gré des aléas éditoriaux, de la disponibilité ou de la santé de l’auteur, peuvent s’espacer considérablement dans le temps, la production de nouveaux ouvrages devenant insuffisante pour pérenniser sa profession.
Aujourd’hui, au regard de la précarité du métier, on cherche des solutions pour réduire l’hémorragie. On veut bousculer les consciences, chez le lecteur et jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. On clame qu’il ne peut y avoir de livres sans auteurs, que les éditeurs doivent s’aligner sur un minimum de 10 % de droits d’auteur, que le succès du livre dépend avant tout de l’investissement marketing qui lui est consacré.
"L’auteur, à moins d’être une star de l’édition, est éminemment remplaçable. "
Oui, l’auteur ne doit pas être la cinquième roue du carrosse. Il est à la source du livre, de toute l’industrie qui vit de son travail, de cette folle passion qui le pousse à se dépenser sans compter. Il doit donc bénéficier de droits équitables, de conditions de travail décentes, d’un vrai statut qui prenne en compte son caractère spécifique.
Sauf qu’on oublie l’essentiel : l’auteur, à moins d’être une star de l’édition, est éminemment remplaçable. Les Français écrivent. Beaucoup. En 2013, selon un sondage Ifop, ils étaient 11 millions à avoir pondu un manuscrit. 400 000 d’entre eux l’avaient envoyé à un éditeur. Bien sûr, tout le monde n’est pas Fred Vargas ou Guillaume Musso. Mais sur le nombre, il y a forcément des pépites sur lesquelles s’attarder. Or si un auteur n’est pas satisfait de ses conditions, il peut toujours aller voir ailleurs ; l’éditeur trouvera toujours quelqu’un de plus malléable, perpétuant ainsi le fonctionnement bien huilé de cette énorme machine à broyer du papier et, parfois, l’humain qui en a noirci les lignes.
Sur ce point, auteur et salarié sont sur un pied d’égalité : celui d’une demande trop forte face à une offre limitée, qui déséquilibre drastiquement le rapport de forces. Quant à la rémunération des dédicaces… Le sujet bat son plein depuis la polémique lancée par les auteurs de BD, prêts à se livrer à une grève lors de la «grande année» de la BD, en 2020, s’ils n’obtiennent pas gain de cause. Les auteurs de romans, vivement concernés par le sujet, soutiennent leur démarche. Tant il est vrai, comme le précise Samantha Bailly, présidente de la Ligue des auteurs professionnels, que «c’est une question de volonté de ceux et celles qui organisent des manifestations artistiques et littéraires, et du respect qu’ils accordent à ceux et celles à l’origine de tout un secteur».
Une belle idée, dans un monde idéal. Mais dans la réalité, qu’en est-il ? Les petits auteurs, qui ont besoin d’aller à la rencontre de leurs lecteurs pour faire connaître leurs ouvrages, sont les moins rentables sur un salon. Si de surcroît il fallait payer leur présence, la logique voudrait qu’on ne les invite plus, afin de concentrer ce surplus de frais sur des auteurs connus, ceux qui permettent aux salons de disposer de têtes d’affiche leur assurant une meilleure fréquentation. Quant à espérer que l’Etat mette la main à la poche… Les gouvernements de ces dernières années ont déjà essayé maintes fois de détricoter le statut des intermittents du spectacle, ces «assistés» de la société. Je vois mal notre gouvernement actuel, plongé en pleine dérive autoritaire, plier le genou face à nos aimables revendications.
Le système éditorial français, à l’instar de tout le système socio-économique, est à bout de souffle. Surproduction, surconsommation… Les solutions ne viendront pas de ce vieux monde agonisant, mais de ceux qui s’efforcent d’en bâtir un nouveau. Le principe du circuit court ne vaut pas que pour les denrées alimentaires : il est le socle sur lequel nous devons tous nous appuyer pour redonner du sens et de la prospérité aux fruits de notre labeur.
Le crowdfunding est une solution efficace, génératrice d’un vrai rapport de confiance entre artistes et contributeurs. D’autres modes de collaboration verront le jour. Nous sommes des créateurs, après tout : changeons de point de vue, inventons de nouveaux moyens, de nouveaux outils pour nous affranchir de cette précarité grandissante dont nous peinons tant à sortir.
L’échelle est peut-être plus petite, mais nous nous hisserons au plus haut sur ses barreaux.
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